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Jour 2 : Mèche

 

Ils déboulèrent en courant dans les rues du village qui s’éveillait à peine.

Maëlys, plus rapide, dépassa Georg en riant et disparut à l’angle de la rue principale. Si le forgeron ne la trouvait pas dans son lit quand il viendrait la chercher, la gamine passerait encore un sale quart d’heure.

Georg, quant à lui, traîna des pieds, les mains dans les poches, jusqu’à la fontaine en plein milieu de la place centrale. Quelques marchands dépliaient déjà leurs étals colorés, et y installaient leurs articles à vendre : paniers d’osier, ceintures et bourses de cuir, peaux de bêtes, mais aussi et surtout de la nourriture. Son estomac protesta furieusement lorsque la bonne odeur de pain chaud vint chatouiller les narines du garçon. Le boulanger lui lança un regard en coin, à l’affût de mains baladeuses, et Georg préféra s’éloigner. Pour l’instant.

Il reprit sa marche vers la fontaine et s’assit sur la margelle de pierres. Le soleil éclaira la place de ses rayons timides à travers la couche nuageuse. Insuffisant pour réchauffer l’enfant qui frissonna, et rentra la tête dans les épaules. Maëlys lui manquait déjà.

Un an auparavant, la fillette avait débarqué au village, un matin comme celui-là, grelottante. Sa longue tignasse rousse ébouriffée, ses vêtements en lambeaux portant des traces de brûlures. Les yeux hagards, elle n’avait pas prononcé un mot durant des jours. Ce n’est que lorsqu’elle avait vu Georg qu’elle avait semblé reprendre vie. Elle paraissait avoir à peu près le même âge que lui, à un ou deux ans près peut-être. Et tout comme Georg avant elle, on ignorait qui étaient ses parents, d’où elle venait et qui elle était.

Maëlys avait rapidement trouvé une famille. Le forgeron et sa femme ayant perdu leur enfant l’hiver précédent, ils avaient de la place dans leur maison, et dans leurs cœurs. Georg, lui, n’avait jamais eu cette chance. Il travaillait chez différents artisans et commerçants du village, gagnait de quoi s’acheter à manger une fois par jour. Le tavernier le laissait dormir près de l’âtre parfois, surtout en hiver. Mais personne ne s’était jamais manifesté pour réclamer le garçon, qui avait fini par se faire une raison.

Un grand fracas le tira de ses pensées moroses. Aussitôt, il sauta sur ses pieds et courut en direction de l’attroupement qui s’était formé devant un étal écroulé. Il se glissa entre les passants. Des hommes essayaient de soulever les lourdes poutres, tandis qu’un autre tendait le bras sous les débris, le visage en sueur, essayant d’attraper quelque chose.

— Ah ! J’y arrive pas, je suis trop loin ! grogna l’homme dont le visage exprimer l’inquiétude sous la colère.

— Passe en-dessous ! s’écria une femme, les poings serrés de frustration.

— Je suis trop grand ! Seul un enfant pourrait passer.

— Je peux… je peux y aller, moi ? se proposa Georg spontanément, sans même savoir de quoi il retournait.

L’homme se redressa, s’épongea le front et se tourna vers le gamin.

— Georg ! Je crois pas… c’était une idée en l’air. C’est dangereux.

— Pas pour moi, répondit le garçon qui n’avait peur de rien.

— Elle est coincée sous les poutres. Une cheville à lâché, et l’étal s’est effondré. Misty est coincée là-dessous. J’ai peur qu’elle soit blessée.

Georg soupira. Un chat. Ils étaient tous affolés pour un simple griffard. Il haussa les épaules et s’engouffra dans le passage instable que les hommes maintenaient pour éviter qu’il écrase le gamin si les poutres lâchaient un peu plus. Un lourd silence s’étira pendant une longue minute, puis la chatte grise bondit hors du trou en crachant. Le marchand poussa un soupir de soulagement et tendit sa grosse main à l’enfant pour l’aider à se remettre sur ses pieds. Un large sourire étira ses lèvres et il épousseta Georg. Quelques mèches de ses cheveux roux lui chatouillèrent le nez et il éternua, soulevant un épais nuage de poussière.

Pour le remercier de sa bonne action, le boucher donna du travail au garçon et lui demanda de venir l’aider à griller la viande sur le tourniquet. Il suffit à Georg de claquer des doigts et une mèche de feu sortit au bout de son index. Ce midi-là, il fut obligé de desserrer la ceinture de son pantalon, car le boucher, le boulanger et la pâtissière s’étaient apparemment donnés le mot pour lui faire éclater le ventre !

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