Jour 1 : Poisson

 

Tapis dans les buissons, les deux enfants avançaient en silence, le pas léger, les lèvres closes, sans prononcer un mot. Ils échangeaient parfois des regards taquins, des sourires amusés, et plaquaient leurs mains sur leur bouche pour ne pas rigoler. Si le vieux Pyter les surprenait à fureter autour du lac, alors qu’il était en train de pêcher, il leur passerait un savon dont ils se souviendraient toute leur vie.

Assis là depuis l’aube, le vieillard remua sur son tabouret, cracha au loin et ralluma sa pipe. Il releva un peu sa ligne pour essayer d’attirer les poissons et grogna dans sa barbe avant de se réinstaller, perdu dans ses pensées.

Le garçon posa une main sur l’épaule de sa camarade pour lui passer devant et continua d’avancer. Mais la fillette était bien décidée à ne pas se laisser faire. Il n’était pas arrivé le jour où un garçon lui dicterait sa conduite, ça non !

De sa petite main potelée, elle attrapa la tunique de son ami et le retint de toutes ses forces. Il se débattit pour lui échapper, mais elle ne lâcha rien, si bien qu’ils finirent par se chamailler. Ils se jetèrent l’un sur l’autre et terminèrent dans un roulé-boulé hors des buissons, se tirant par les cheveux, s’envoyant les poings en pleine figure, et se mordant dès que la moindre parcelle de peau passait à portée de leurs petites dents pointues.

Soudain, deux grandes mains puissantes les attrapèrent par le col, les soulevèrent de terre et les portèrent jusqu’à un visage furibond, aux joues burinées par le soleil, depuis lequel deux perles azur les fixèrent avec rage.

— Par ma barbe, qu’est-ce que vous fichez ici tous les deux ? éructa le vieil homme, aux dents jaunies par le tabac. Faut-y encore que j’vous colle une raclée pour qu’vous me foutiez la paix, une bonn’fois pour toutes ?

Les deux enfants secouèrent vigoureusement la tête, leur tignasse rousse éparpillant des feuilles, de la poussière et des brindilles autour d’eux. Leur arrière-train portait encore les traces de la dernière trempe qu’ils s’étaient ramassée la veille de la part du vieux pêcheur. Pour autant, cela ne les empêchait pas de recommencer.

— Alors déguerpissez avant qu’j’avertisse vos parents !

Pyter reposa les enfants à terre sans ménagement et les poussa en direction du village. Sans demander leur reste, ils prirent leurs petites jambes à leur cou, trop heureux de ne pas se faire frapper à nouveau, et ne ralentirent l’allure qu’une fois suffisamment loin du lac pour que le vieux ne les entende plus.

Là, pliés en deux, les mains sur les genoux, ils se regardèrent, et se roulèrent par terre de rire. Puis, le garçon sortit quelque chose de sous sa tunique, coincé dans son pantalon et se releva.

— Maëlys ! À toi !

Il lança en l’air de toutes ses forces un poisson de la taille d’une main. Maëlys tendit le bras vers l’animal et une gerbe de flammes s’éleva pour griller la truite, qui termina sa course dans les mains de son camarade.

— À point, comme je les aime !

— Bon appétit !

Le garçon croqua dans la chair grillée et tendit le poisson à Maëlys pendant qu’il mâchait avec bonheur. Une voix furieuse retentit dans leur dos.

— GEOOOOOORG !

Sans attendre que le pêcheur les ait rattrapé, Maëlys et Georg reprirent leur course vers le village, abandonnant leur forfait dans l’herbe humide du matin.

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