Jour 4 : Rad’yo (Radio)
Le soleil déclinait à l’horizon. Georg resta encore un peu au marché pour aider les marchands à démonter leurs étals, récoltant sourires et bourrades amicales. Depuis son arrivée au village, c’était la première fois que les habitants se montraient si bien disposés à son encontre. Sa situation était peut-être en train de s’améliorer. Une famille l’adopterait-elle bientôt ? Ou un maître le prendrait-il en apprentissage ?
Le cœur léger, il se dirigea vers la taverne. Avec les quelques pièces gagnées durant la journée, il pourrait s’offrir un bon repas chaud, pour une fois. Et le tavernier accepterait sans doute de le laisser dormir près de la cheminée, s’il lui promettait d’entretenir le feu.
Un sourire éclairant ses traits, l’enfant entra dans la taverne. Les hommes arrivaient chacun leur tour ou en petits groupes, et s’installaient à leurs tables habituelles.
— Bonsoir Georg, le salua Talia, une des serveuses qui portait déjà un plateau dans ses mains.
Le garçon lui répondit, et se dirigea vers le comptoir, tout heureux, sous les regards amusés des clients. Il se leva sur la pointe des pieds pour passer son menton et recula vivement quand la grosse tête de Hector le toisa de toute sa hauteur.
— Qu’est-ce tu veux, gamin ? grogna le tavernier bedonnant, en s’essuyant les mains sur son tablier déjà sale.
— Il veut juste manger, Hector. Sers-lui une soupe, intervint la serveuse.
— J’travaille pas gratis, mon gars. T’as de quoi payer ?
Georg prit son courage à deux mains et s’avança de nouveau vers le comptoir sur lequel il déposa les quelques pièces gagnées au marché.
Avec un rictus mauvais, le tavernier balaya le comptoir de sa grande main et ramassa toutes les pièces, sous la mine éberluée de l’enfant. Le regard noir du gros bonhomme le dissuada de rétorquer quoi que ce soit, mais il y avait là bien plus que la valeur d’une soupe, aussi bonne soit-elle ! Alors que la monnaie disparaissait dans le tablier du tavernier, une silhouette encapuchonnée attrapa le bras de Hector, qui grimaça.
— Lâche-moi ou j’appelle la garde.
— C’est ça, appelle-la ta garde. Et on en profitera pour regarder ta comptabilité d’un peu plus près.
— Qu’est-ce que… qui t’es, d’abord ?
Georg leva les yeux vers l’inconnu dont on ne voyait pas le visage sous la capuche, et n’osa bouger ni rien dire.
La nouvelle venue ôta son capuchon, libérant une lourde chevelure argentée, puis adressa un clin d’œil à l’enfant avant de reporter son attention sur le tavernier.
— Je suis Rad’yo. Le bourgmestre a fait appel à moi il y a une semaine. Je suis là pour ce jeune homme. Alors sers-lui à manger, et surtout rends-lui ses pièces. C’est moi qui paye.
À l’évocation du nom de la femme, Hector ne se fit pas prier et rendit la monnaie à Georg d’une main tremblante. Rad’yo se détourna pour aller s’asseoir à une table un peu à l’écart. Une fois qu’elle fut assise, elle fit un signe de la main au garçon pour qu’il la rejoigne. La bouche ouverte dans une expression de surprise, l’enfant mit quelques secondes avant de réaliser et courut presque jusqu’à une chaise où il grimpa. La table était trop haute pour lui, si bien qu’il garda les coudes sur ses genoux mais l’inconnue ne semblait pas l’entendre ainsi.
— Les coudes sur la table, Georg. Et si tu es trop petit, on va demander un coussin. D’accord ?
L’enfant hocha la tête sans dire un mot et se leva le temps que la serveuse l’installe confortablement. Jamais il n’avait eu droit à un tel traitement de faveur et il ne savait plus quoi dire.
— Qui… qui êtes-vous ? demanda-t-il finalement d’une petite voix timide.
— Je te l’ai dit, je suis Rad’yo.
— Pourquoi vous êtes gentille avec moi ?
— Je ne serai gentille avec toi que si tu écoutes bien tout ce que je te dis, et si tu apprends bien tout ce que je t’enseignerai.
— Que… quoi ? Mais pourquoi ?
*Je t’apprendrai à développer et contrôler tes pouvoirs. *
Georg écarquilla les yeux de surprise en entendant la voix résonner dans sa tête et ouvrit la bouche pour parler, mais Rad’yo posa son index sur sa bouche pour lui intimer l’ordre de se taire. En récompense de sa coopération, elle lui offrit un grand sourire.
— À partir de ce soir, toi et moi, nous sommes une famille. Est-ce que ça te convient ?
Le garçon sentit sa gorge se nouer et ses yeux le piquer. C’étaient là des mots qu’il n’espérait plus entendre un jour. Il secoua vivement la tête et avala sa soupe avec appétit, sous le regard bienveillant de la télépathe.