Jour 30 : De mauvais augure
Courbée sous son châle de laine, Luciane s’affairait à préparer son thé matinal. Ses vieilles douleurs l’empêchaient d’être aussi alerte qu’autrefois, ses doigts crispés par l’arthrose peinaient à tenir une tasse sans trembler. La bouilloire siffla sur le poêle et la vieille femme grimaça de douleur en soulevant le récipient à deux mains entourées d’un torchon.
Elle soupira de soulagement quand elle reprit place dans son grand fauteuil près de la cheminée, une couverture sur les genoux. Sur la petite table ronde à ses côtés, sa boule de cristal reflétait tranquillement les murs de la maison. La fumée violette à l’intérieur tournoyait calmement, comme la fumée de son thé brûlant entre ses mains.
Soudain, des croassements à l’extérieur attirèrent son attention. Luciane tourna la tête vers la fenêtre et aperçut un vol de corbeaux qui semblaient fuir l’endroit. La vieille plissa les yeux et fixa sa boule de cristal, mais celle-ci restait imperturbable. La voyante se détendit et se renfonça dans son fauteuil pour souffler sur son thé. Un feulement près de sa porte d’entrée la fit sursauter. Dans des grommellements agacés, elle se leva péniblement pour chasser les chats qui se battaient dans la rue. Mais en ouvrant la porte, elle trouva un chat noir, le dos voûté, planté sur ses griffes, qui la menaçait de ses petits crocs jaunis.
Une nouvelle fois, Luciane tourna le regard sur sa boule de cristal, dont les volutes continuaient de tourner lentement.
Elle secoua la tête en soupirant, chassa l’animal, referma la porte avec fracas avec l’espoir de pouvoir boire son thé tranquillement. Mais la violence du geste dérangea le miroir accroché au mur près de l’entrée, qui tomba et se brisa en mille morceaux sur le plancher.
La voyante n’eut pas besoin de poser ses yeux gris sur sa boule cristal pour deviner que la fumée à l’intérieur avait viré au rouge et tournoyait furieusement.
Elle sortit précipitamment dans la rue pour voir sortir de terre une horde de démons rougeoyants.