Jour 9 : Jeter
Les fêtards s’étaient rassemblés en arc de cercle derrière des barrières en bois qui délimitaient un vaste espace dégagé. Pour les faire patienter, les musiciens et jongleurs se donnaient en spectacle, pour le plus grand plaisir des enfants.
Par chance, le ciel était dégagé, et le vent avait cessé depuis plus d’une heure, au grand soulagement du bourgmestre, qui se voyait déjà annuler la fin des festivités. Le petit homme replet fit quelques pas au centre du cercle, un porte-voix dans la main droite, après que les saltimbanques lui eurent laissés la place, en jetant des regards nerveux au forgeron et sa fille qui s’empressaient de mettre en place les derniers préparatifs à la seule lueur de la lune. De torches auraient été trop risquées.
Maëlys arriva en courant près du bourgmestre et lui glissa quelques mots à l’oreille après qu’il se soit penché pour se mettre à sa hauteur. Il hocha la tête, se releva et porta le cône devant sa bouche, tandis que la fillette repartait dans la noirceur de la nuit, retrouver son père. Le bourgmestre s’éclaircit la voix et commença son discours.
— Chers habitants et voisins de la vallée, je suis heureux de vous accueillir, une année de plus, pour la fête de l’automne…
Maëlys écouta d’une oreille distraite les paroles de l’homme, trop concentrée sur son travail. Depuis des mois, Tadeus lui montraient comment fonctionnaient les feux d’artifices, comment les installer en toute sécurité, comment les placer, dans quel ordre, avec quelle inclinaison, en fonction de l’effet recherché. Cette année toutefois, il revenait à l’enfant la lourde et dangereuse tâche d’allumer la mèche qui reliait chaque fusée entre elle.
— Tout est prêt Maëlys ? chuchota le forgeron à quelques pas de la fillette.
— Oui, j’ai terminé.
— Viens, on va s’installer à l’autre bout en attendant que Marius ait terminé son discours.
— Ça va durer longtemps ?
— J’espère pas. Je crois que des nuages s’amènent, regarde, ajouta-t-il en pointant un index vers le sud.
Maëlys hocha la tête et reporta son attention sur le bourgmestre qui tentait de faire des plaisanteries, mais peu de personnes riaient dans l’assemblée. L’enfant fouilla la foule du regard, sans trouver ce qu’elle cherchait. Elle se dandina d’un pied sur l’autre et serra ses bras contre elle. Tadeus sembla remarquer son manège et s’accroupit à côté d’elle.
— Tu as froid ?
Maëlys secoua vigoureusement la tête, grelottante, et se blottit dans les bras de son père, dont la chaleur l’envahit aussitôt. Marius termina enfin sa longue tirade et ses remerciements sans fin à la petite communauté dont il avait la charge, et fit signe aux artificiers de prendre le relais.
Tadeus frotta le dos et les bras de sa fille avec énergie, puis l’enfant fit quelques pas vers la planche où reposait la mèche, à l’abri de l’humidité, et le nécessaire pour l’allumer, au cas où ce qu’ils avaient prévu ne fonctionnerait pas. Maëlys tourna la tête vers son père, le souffle court, et le forgeron l’encouragea d’un signe de tête accompagné d’un large sourire. Elle se sentait nerveuse, car à la forge, elle ne parvenait pas encore à allumer de feu sur commande. Il n’y avait que lorsque Georg se trouvait près d’elle et le lui ordonnait qu’elle y arrivait. Elle chercha une nouvelle fois son ami dans la foule, en vain.
Elle inspira profondément et claqua des doigts près de la mèche. Rien ne se passa. Une fois, deux fois, de minuscules étincelles jaillissaient, sans toutefois être suffisantes pour allumer la ficelle imbibée.
— Ma chérie…
— J’y arrive pas ! murmura-t-elle avec force. J’ai besoin de Georg.
— T’as pas b’soin de lui ! l’encouragea son père.
Elle tenta de nouveau, mais toujours rien ne se passa. De frustration, elle tapa du pied dans l’herbe, et sentit les larmes de colère lui piquer les yeux. Au premier rang derrière les barrières de sécurité, Laïla se rongeait les ongles, priant de toutes ses forces que tout se passe bien.
C’est alors qu’une étincelle scintilla dans la nuit, puis une autre, et encore une. Finalement, les fusées brûlèrent et s’élevèrent pour illuminer le ciel d’encre, dans un concert d’explosions multicolores. La foule applaudit et poussa des exclamations d’émerveillement.
Au comble de la joie, Maëlys se jeta dans les bras de son père, heureuse d’avoir enfin pu générer du feu par sa simple volonté, et sans avoir besoin de l’aide de qui que ce soit.
Aux abords de la foule, les bras croisés, Georg sentit son cœur se gonfler de fierté, un sourire aux lèvres.