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Jour 6 : Rongeur

 

— Je vois rien, il fait trop noir ! gémit Georg.

À quatre pattes dans une étroiture, le garçon rampait depuis une heure sous les ruines d’un ancien temple depuis longtemps abandonné, à l’extérieur du village. Assise sur un gros bloc de pierre qui avait autrefois sans doute constitué une gigantesque ouverture ou un mur, Rad’yo soupira d’exaspération.

Parle-moi dans ta tête, je t’entendrai mieux.

Je… vois.. rien, répéta l’enfant dont la pensée erratique parvint par bribes jusqu’à la télépathe.

Allume la lumière.

Quoi ?

Je croyais que tu étais capable de générer du feu ? Allume la lumière ! répéta la femme qui se leva pour marcher un peu.

La fraîcheur était tombée avec la nuit, et elle commençait à avoir froid. Elle aurait peut-être dû choisir un autre moment pour emmener le gamin jusqu’ici. Ou alors elle aurait dû prévoir des vêtements plus chauds. Comment ces enfants s’étaient-ils retrouvés dans un village de montagne, dans l’un des pays les plus froids du continent ?

J’y… arrive pas… J’ai froid.

Ferme les yeux et respire. Pense à une journée ensoleillée, ou un feu de cheminée, et laisse la chaleur t’envahir.

Rad’yo fit les cent pas au pied des ruines, se concentrant pour entendre les pensées du garçon. Plusieurs minutes s’écoulèrent dans le plus grand des silences.

Georg ? appela-t-elle sans bouger les lèvres.

Aucune réponse.

— GEORG ! répéta-t-elle finalement en s’époumonant de toutes ses forces.

Un cri sous terre lui répondit et elle se précipita dans les ruines.

— Où es-tu ? Réponds-moi ! Georg !

Rad’yo tourna sur elle-même à plusieurs reprises, son regard scrutant chaque interstice entre les murs écroulés d’où l’enfant pourrait surgir… ou n’importe quoi d’autre. L’oreille à l’affût, les sens aux aguets, elle se tenait en position de défense, prête à en découdre.

Soudain, une torche humaine de petite taille courut dans sa direction en poussant des hurlement de terreur. La télépathe fit un pas de côté et Georg atterrit lourdement dans la boue. Les flammes qui recouvraient son corps s’éteignirent aussitôt et l’enfant se mit à grelotter en claquant des dents.

La femme ôta sa cape pour en couvrir le petit corps et le porta jusqu’à l’extérieur des ruines. Recroquevillé sous la laine rêche, Georg se nicha dans les bras de sa tutrice, les yeux écarquillés d’horreur. La télépathe le déposa sur une pierre et dégagea quelques mèches de cheveux qui barraient le visage du garçon.

— Que s’est-il passé ? Qu’as-tu vu ? demanda-t-elle d’une voix douce.

Il planta son regard dans le sien et balbutia :

— Des rongeurs… des dizaines et des dizaines de rongeurs ! Ils me regardaient avec leurs petits yeux rouges ! C’était horrible !

Rad’yo se retint d’éclater de rire pendant un moment mais devant la mine déconfite de l’enfant, n’y parvint pas longtemps. Georg, vexé, se renfrogna et serra un peu plus la couverture contre lui.

— C’est pas drôle, bouda-t-il. Et puis d’abord, pourquoi tu m’as amenée ici ? C’était quoi le but ? Que je me fasse manger par les rats ?

— Mais non, mais non, je suis désolée. Si je t’avais dit ce que tu pouvais trouver là-dessus, tu y serais allé ?

— Bien sûr que non ! J’ai peur de rien, mais les rongeurs, c’est… je peux pas !

— Alors, tant mieux. Maintenant on sait que tu as une faiblesse. Tu apprendras à la combattre. Et peut-être qu’on en découvrira d’autres.

— Non merci. Je préfère me dire que j’ai peur de rien.

— Et comment tu feras pour protéger les villageois, si tes ennemis connaissent tes faiblesses et pas toi ? Qu’arrivera-t-il le jour où une armée attaquera, et se servira de tes points faibles pour t’anéantir ?

— Je peux pas mourir.

— C’est commode ça ! Toi tu ne peux pas mourir. Mais eux, si ! Maëlys et toi, vous serez bien seuls le jour où toute l’humanité aura disparu, et qu’il n’y aura plus personne à protéger ! Que feras-tu à ce moment-là ?

La voix de la femme se perdit dans l’immensité de la nuit, laissant planer un avenir auquel Georg n’avait jamais pensé.

— Tu te souviendras de la vieille Rad’yo qui t’avais prévenu et qui voulait t’apprendre à découvrir tes faiblesses, et à contrôler tes peurs.

— Je retournerai pas là-dessous ! s’écria l’enfant en désignant les ruines de son petit bras tremblant.

Rad’yo soupira et se pencha pour se porter à sa hauteur.

— Tu y retourneras, prononça-t-elle d’une voix calme, et tu y apprendras à écouter tes émotions, et à te servir d’elles et non l’inverse. Parce que tant que ce sont tes émotions qui te contrôlent, jamais tu ne maîtriseras tes pouvoirs, et tu seras un oisillon pour le restant de tes jours.

Georg, grelottant, planta son regard dans le sien. Il semblait pourtant avoir perdu toute son assurance.

— Est-ce cela que tu souhaites ? Rester un bébé oiseau jusqu’à la fin de tes jours ?

Il secoua lentement la tête de droite à gauche et Rad’yo esquissa un sourire satisfait.

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